Mon champ de vision s'est considérablement rétréci. Je ne vois que son pull, le bouton en bois de son pull (sympa...), son jeans, ses bras qui s'agitent dans tous les sens et son oeil, qui s'approche bizarrement, avant de s'éloigner, soucieux. Derrière, je devine d'autres gens: quelques aliens qui naissent, un félin triste et, sur ma gauche, un poisson plutôt convaincant. Moi, je n'ai aucune idée de ce à quoi je ressemble.
Un autre visage vient d'entrer dans le cadre. Il est doux, vaguement barbu, souriant, éminement sympathique. "Classe!" s'exclame-t-il avant de s'approcher dangereusement. La monture de ses lunettes n'est plus qu'à quelques millimètres de mon oeil. Mais j'ai appris à ne pas me focaliser sur l'avant-plan. Derrière, elle ne semble pas convaincue. "C'est propre!" continue-t-il. Il a pris un peu de recul et continue de m'examiner comme une bête curieuse. Je souris. Elle vient justement de me dire qu'elle trouvait ça sale. "Dans ce genre de contexte, le pire ennemi, c'est le perfectionnisme, poursuit-il pour la rassurer. A trop vouloir changer, on rend souvent le truc moins bon qu'il n'est au départ. Ici, il y a d'excellentes idées. Continue!"
Je vois, à sa grimace, que ça ne suffit pas. Elle est très exigeante et ce ne sont pas les compliments, même sincères, d'un gentil prof qui y changeront quelque chose. Ses mains recommencent à s'agiter en très gros-plan. Je me sens comme chez le dentiste. Sauf que rien ne me fait mal, ici, au contraire. Cette couche fraiche sur la peau a un effet terriblement relaxant. Elle m'examine sans me regarder vraiment. Moi, non plus, je ne la regarde pas. Je n'ose pas. Pourtant ce que je vois me fascine: l'artiste au travail, en proie aux doutes. Je lui demande de quelle planète je viens et quel genre de caractère j'ai. Elle me répond qu'elle ne sait pas. Je suis juste "pas très sympathique", me dit-elle. Ca me plaît.
Puis, elle s'attaque à ma bouche. Elle voudrait "des lambauds de chair". C'est atroce mais ça continue de me plaire. Les minutes passent et ma curiosité gonfle. Qui suis-je, pour les autres, à présent? Autour de moi, les animaux se font plus réalistes. L'oiseau, notamment, me stupéfie. Les extra-terrestres impressionnent moins, peut-être par manque de points de comparaison. Ils ne ressemblent ni à E.T. ni à Mars Attacks, du coup, mon esprit est perdu. La bouche est un passage délicat: j'ai l'interdiction de sourire, sous peine de gâcher son travail. Cette réalité-là est difficile à accepter mais je tiens le coup: de toute façon, les personnages "pas très sympathiques" ne rient pas.
Au bout d'une bonne demi-heure de travail minutieux, elle finit par m'annoncer que c'est terminé. Son oeil expert me regarde une dernière fois. Elle affiche la moue mitigée des gens qui s'évaluent très durement. Libérée de ma chaise, je prends une grande inspiration, plisse mes yeux myopes et court vers le miroir. L'image que j'y découvre me coupe le souffle. Une sorte d'alien-Hannibal-mort-vivant très bien fait a pris la place de mon visage. Je ne suis pas sûre de bien voir, sans mes lunettes... Je m'approche encore, colle un oeil sur ma bouche, remarque les lambauds... Brrrr! Elle est restée loin derrière, peut-être par peur de ce que j'allais dire. Je frissonne et la félicite. Franchement, j'ignorais que je pouvais être... "ça".
Depuis, elle a transformé une autre de nos amies en squelette et moi, je rôde la nuit autour des vivants, à le recherche de chair fraîche à dévorer...
5 commentaires:
C'est bizarre...je viens de te laisser un commentaire mais il ne s'affiche pas. Qu'est-ce qui se passe ? J'ai encore raté un épisode dans le postage d'un com ?
Je suis trop nulle ...
Flower
Bon désolée ... je crois que j'ai fait une mauvaise manipulation. Donc je te disais dans mon com effacé qu'il faudrait une photo pour mieux illustrer l'oeuvre de l'artiste. Une petite photo sur ce blog, yeah !
Sinon que je suis toujours aussi impatiente de lire ton roman ...un jour quand tu en auras envie de me le faire lire ! J'attends ...
Gros baisers de Paris.
Flower
T'as écris un roman????
Hihi... Merci pour vos chouettes commentaires (même ceux qui disparaissent. C'est l'intention qui compte) Euh... "roman" est un très très grand mot. Je sais qu'il vient de moi mais je ne l'ai utilisé que parce que c'est comme ça qu'on désigne les trucs écrits qui ne sont ni du théâtre, ni du cinéma, ni de la BD, ni du roman-photo, ni des nouvelles. C'est donc un "roman" par défaut... Huhu. Sinon: 1. C'est pas fini. 2. Je doute beaucoup (y a des jours où je trouve vraiment ça nul, nul, nul... Heureusement, c'est alterné de périodes où ça peut aller) et 3. Quand j'aurai plus ou moins terminé, si je ne décide pas de le jeter, promis, je le fais lire à qui veut :-)
Flower, pour la photo, j'en ai une... mais elle fait tellement peur que j'ai hésité. Et puis, je ne suis pas sûre que l'artiste ait envie que j'expose son travail. Huhu. (sur ce, je cours lire ton blog car je sais qu'il y a un nouvel épisode mais je n'ai pas encore eu le temps de le parcourir)
EDIT: Bon, ben allez, après tout, l'art est fait pour être vu... (sauf bien sûr si l'artiste se manifeste contre, dans lequel cas, je retire l'image tout de suite, promis ;-))
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