C'est l'heure blanche. Une heure que je n'avais plus connue depuis longtemps...
Paris et les premiers métros qui me ramenaient à la Cité U. Parfois. Je crois que ça date de là... A Bruxelles, les lits qui m'accueillent à l'aube sont souvent situés au centre ville. Du coup, je n'ai pas à sortir et je ne connais pas, tout ça... Louise, le samedi matin, quand les gens s'agglutinent sur le quai en attendant 6h05. Le monde! C'est le monde qui surprend d'abord. Quand on vient de la ville vide, vidée, presque morte, et qu'on débarque dans la station, persuadée - là réside l'erreur fatale - de ne croiser qu'un pelé, deux tondus, l'un ou l'autre noctambule, le pauvre travailleur du matin et c'est tout, on se prend le monde comme une giffle. Louise, le samedi, 6h, c'est un peu le rendez-vous ultime, l'endroit où se retrouvent tous les vaillants qui sont encore debouts. Commence alors la phase d'observation et de questionnement. Où va-t-on appuyer son petit corps meurtri pour lui permettre de tenir jusqu'à l'arrivée du métro? Entre la bande de jeunes en shorts et chemises hawaïennes, les vieux saoûlots qui affichent leurs cernes, les gens apparemment clean et ceux qui ont du mal, affalés, couchés, la tête dans les mains, on a intérêt à bien choisir son voisin (éviter, en particulier, celui qui risque de vous vomir dessus... C'est particulièrement important quand votre propre estomac a déjà un peu de mal avec le Quick que vous lui avez imposé quelques heures plus tôt)
Si l'heure blanche ramène chez eux bon nombre de gens heureux, emballés par la nuit qu'ils viennent de passer, ravis d'avoir tenus si longtemps, elle n'en laisse résolument rien paraître. Car elle est fatiguée, l'heure blanche. Fatiguée et triste. La nuit donne son dernier assaut avant que l'aube, brumeuse, ne s'empare de la ville. Assaut désespéré et vain, qui expire en larmes: la nuit pleure, de mourir si vite.
Que faisais-je, moi, excatement, dans tout ça? A vrai dire, je ne sais pas... Pas plus que je ne sais comment ça a fini, à quel moment l'aube a gagné sur la nuit ni même comment j'ai fait pour garder les yeux ouverts jusqu'à l'arrivée du métro. Je ne sais plus si cette heure, qui était une vraie heure avec soixante vraies minutes, m'a semblée longue ou courte, si j'en ai souffert ou joui, si j'ai eu peur, un moment, de ne jamais retrouver le chemin de mon lit. Ne me reste, en fait, qu'une certitude: au moment de m'écrouler dans mes plumes j'avais la satisfaction non seulement d'avoir passé une nuit d'enfer mais celle, aussi, d'avoir connu, et maîtrisé, l'heure blanche. Délicieux!