jeudi, septembre 28, 2006

Culpabilité

"Oh! Un escargot!"

Elle pointait du doigt un petit tas informe, sur la terrasse. Je savais ce que c'était mais je n'ai pu m'empêcher d'y jeter un coup oeil dégouté.

"Oui... C'est un escargot écrasé..." répondis-je très vite, espérant couper court à la conversation.

"Mais... il faut pas écraser les escargots!"

Je me suis un peu mordu la lèvre, en lui prenant la main. Non, c'est vrai... Il faut pas... Mais merde! C'était pas ma faute! Il faisait tout noir! Je marchais normalement, sans agressivité particulière, jusqu'à ce que... crac... et beurk... (ça m'apprendra à aller fumer des clopes sur la terrasse, la nuit, tiens) C'est salaud, un escargot sous votre pied! Pire qu'une limace. Il y a d'abord ce bruit, affreux... et puis cette sensation! On a beau relever le pied tout de suite, en poussant des petits cris mi-effrayés, mi-dégoutés, c'est trop tard. On l'a sentie, la carapace qui se brise et la chair molle qui s'enfonce doucement. On a senti la mort... (sournoise, inattendue, visqueuse, dégueulasse, beurk!) C'est atroce, ce moment-là. Ca vous flingue votre soirée en moins de deux. Cette soirée-là et toutes les suivantes... Un escargot est décédé sous mes pieds, samedi, oui et alors? Par malheur, ce décès a eu lieu sur ma terrasse, ce qui m'oblige à le voir chaque fois que je sors de chez moi pour aller dans le jardin. Vous trouvez pas que c'est suffisant, comme supplice? Faut-il vraiment que des mômes de quatre ans viennent me demander des explications, en plus???

"Non, t'as raison, il faut pas écraser les escargots... Allez, viens, on va jouer à cache-cache!"

On a joué à cache-cache pendant cinq minutes et puis on est rentrées, parce que l'herbe était mouillée. Hier, en allant fumer ma clope, j'ai shooté un bon coup dans le tas infâme.
Et aujourd'hui, il ne reste du drame qu'une vague tâche sombre...

(Le premier qui trouve une bonne morale à cette histoire gagne un pélerinage, en pension complète, sur les lieux de la tragédie... Aux frais de la princesse!)

lundi, septembre 25, 2006

Petit Poucet

Samedi, on pouvait suivre les clients à la trace sur le sol de la librairie. Ca faisait longtemps qu'il n'avait plus plu mais je ne m'en étais pas rendu compte... Bizarrement, j'ai été attendrie par les chemins de gouttes de pluie qui s'étaient formés dans le sillages de nos clients. On aurait dit les cailloux blancs du Petit Poucet... Vaines tentatives de l'enfant perdu pour se retrouver, au milieu de sa forêt de tourments, de projets et d'angoisses. J'ai brusquement été prise d'une immense tendresse pour ces gens qui venaient m'acheter des livres. Du bébé au sourire d'ange au jeune homme rieur en passant par les clients pressés, les timides, les BCBG, les fauchés, les stressés, les charmants et même les autres, les cas difficiles à qui on meurt d'envie, parfois, de donner une bonne paire de gifles pour leur faire passer le goût de l'arrogance. Tous ces gens dont je partage l'existence pendant une minute, le temps d'aller chercher un manuel scolaire, de prendre une commande et d'encaisser le billet qu'ils me tendent. Perdus dans leurs forêts personnelles, sur leur chemin de pluie qui, un jour, par hasard, vient à croiser le mien...

J'aime bien ce job... J'ai pas fait mes études pour me retrouver derrière une caisse enregistreuse, certes, mais je savoure ces instants complices à la croisée des chemins, ces moments superficiels où l'on ne comprend pas le millième de la complexité de la personne qui est en face de soi mais où on lui sourit, spontanément, parce qu'on se reconnaît un peu en elle.

Il a arrêté de pleuvoir, samedi, et les traces se sont effacées. Moi, j'ai terminé la journée sur les genoux et j'ai quitté la librairie définitivement.

Mais auparavant, j'ai pris soin de semer, discrètement, des petits cailloux blancs pour en retrouver le chemin.

dimanche, septembre 17, 2006

Et perdue, dans Paris, les yeux grands ouverts
Un peu paumée, à tous niveaux, tu sais...

Lui: pompier. Elle: princesse. Ils ouvrent le bal sous le regard curieux et attendri d'une centaine de paires d'yeux en tenue de soirée. Ils ont répété... Pour vaincre la timidité et apprendre à ne pas trébucher dans la robe. Ils ont répété et ça se sent. Ils sont parfaits. Elle, émue et émouvante avec ces larmes au coin des yeux et ce sourire à désarmer les kamikazes les plus acharnés. Lui, superbe dans son uniforme des grands jours, appliqué, attentif, amoureux. C'est beau comme ils se bouffent des yeux, ces deux-là. Ca me coupe un peu le souffle, tellement c'est beau. J'aimerais être cachée dans le creux de leurs oreilles, pour savoir ce qu'ils se chuchotent là, maintenant, tout de suite. Est-ce qu'ils parlent de leurs jambes qui flageollent un peu sous la pression de ce qui vient de leur arriver? Ou de leurs futurs enfants? De la nuit de noce, toute proche, ou du ménage, des courses, des lessives et des petits plats qu'il lui concoctera lundi, quand l'agitation sera un peu retombée? J'aimerais être dans le creux de leurs oreilles pour boire les mots tendres jusqu'à plus soif, m'en imprégner, gonfler, exploser. Exploser d'amour! Rien que ça.

Ce matin, fatigue, migraine et un brin de nostalgie dans la voix de Charlotte Gainsbourg. Je n'ai pas encore touché l'âme de cet album, jusqu'ici. J'ai tendance à le trouver trop lisse. Trop froid. Mais ce matin, je change un peu d'avis. C'est parfait pour un lendemain de veille. Ou un lendemain tout court. Un jour effacé, aérien, perdu. Calé entre l'ici et l'ailleurs. Entre des rêves de gamines fleur-bleue qui reprennent vigueur et cette putain de solitude qui me cloue sur place. Un jour perdu entre hier et demain. Quelque part... In the center of the night.

vendredi, septembre 08, 2006

Métro-boulot-métro-dodo

8h32... C'est à 8h32, tous les matins, qu'un voyageur chanceux s'approprie le dernier exemplaire des Métro francophones de Stockel. Et ce voyageur, mardi passé, je l'ai vu... C'est une femme, la trentaine, cheveux bruns ondulés, discrète, rapide et faussement innocente, qui agit en moins de temps qu'il ne faut pour le dire. Mon cerveau, ralenti par un réveil trop matinal, n'a rien pu faire. Il est resté subjugué par l'habileté du geste: l'esquive et l'accélération, le pas décidé vers le porte-journaux bleu, la main qui effleure la pile de Métro néerlandophones, hésite, fait mine de s'en saisir, puis, au dernier moment, s'envole et s'empare de l'unique exemplaire francophone restant. Une seconde... Il n'aura pas fallu plus d'une seconde à cette femme pour faire disparaître le Métro dans les profondeurs abyssales de son sac à main et laisser tous les francophones suivants sur le carreau. Magistral!

Lundi, je l'avais précédée de quelques minutes, participant, sans le savoir, au travail des cinq cents fourmis ouvrières qui démantèlent la pile en vue de l'arrivée de la reine, tous les matins, à 8h31, 50 secondes et des poussières. A cet instant où le monde se fige, elle n'a plus qu'à s'avancer pour achever le processus. Dix secondes. Dix pas. Un geste de la main. Et le Métro francophone de Stockel n'est plus qu'un vague souvenir.

Mardi, j'ai compris... On ne peut rien contre un tel pouvoir. Depuis, je m'arrange pour arriver à Stockel après le massacre.

(A moins que ce ne soit parce que j'ai de plus en plus de mal à me lever, le matin?)

(...)

(Nooooon!)