Elle pointait du doigt un petit tas informe, sur la terrasse. Je savais ce que c'était mais je n'ai pu m'empêcher d'y jeter un coup oeil dégouté.
"Oui... C'est un escargot écrasé..." répondis-je très vite, espérant couper court à la conversation.
"Mais... il faut pas écraser les escargots!"
Je me suis un peu mordu la lèvre, en lui prenant la main. Non, c'est vrai... Il faut pas... Mais merde! C'était pas ma faute! Il faisait tout noir! Je marchais normalement, sans agressivité particulière, jusqu'à ce que... crac... et beurk... (ça m'apprendra à aller fumer des clopes sur la terrasse, la nuit, tiens) C'est salaud, un escargot sous votre pied! Pire qu'une limace. Il y a d'abord ce bruit, affreux... et puis cette sensation! On a beau relever le pied tout de suite, en poussant des petits cris mi-effrayés, mi-dégoutés, c'est trop tard. On l'a sentie, la carapace qui se brise et la chair molle qui s'enfonce doucement. On a senti la mort... (sournoise, inattendue, visqueuse, dégueulasse, beurk!) C'est atroce, ce moment-là. Ca vous flingue votre soirée en moins de deux. Cette soirée-là et toutes les suivantes... Un escargot est décédé sous mes pieds, samedi, oui et alors? Par malheur, ce décès a eu lieu sur ma terrasse, ce qui m'oblige à le voir chaque fois que je sors de chez moi pour aller dans le jardin. Vous trouvez pas que c'est suffisant, comme supplice? Faut-il vraiment que des mômes de quatre ans viennent me demander des explications, en plus???
"Non, t'as raison, il faut pas écraser les escargots... Allez, viens, on va jouer à cache-cache!"
On a joué à cache-cache pendant cinq minutes et puis on est rentrées, parce que l'herbe était mouillée. Hier, en allant fumer ma clope, j'ai shooté un bon coup dans le tas infâme.
Et aujourd'hui, il ne reste du drame qu'une vague tâche sombre...
(Le premier qui trouve une bonne morale à cette histoire gagne un pélerinage, en pension complète, sur les lieux de la tragédie... Aux frais de la princesse!)