jeudi, décembre 14, 2006

Ceci est une fiction

Mercredi 13 décembre, 21h...

Ostende souffle son haleine humide sur le petit personnage décoiffé, perdu dans l'immensité sombre de la plage. L'homme se surprend à frissonner... Que, diable, fais-je ici? De glaciales pensées le traversent, qu'il balaye à coups de pieds dans le sable. Il a ôté ses chaussures sans trop y croire. Se tremper les orteils dans les vagues de décembre, n'est-ce pas un peu osé?

A des kilomètres de là, une petite fille blottie sous une couette frissonne, elle aussi... Son doudou s'est endormi avant elle. Assise au pied du lit, sa maman chante doucement pour la rassurer. Mais rien n'y fait. Marine ne dort pas. Il y a toujours ce bruit derrière le carreau... La forêt ardennaise qui se contorsionne sous les rafales hivernales. Ces grincements... Marine n'aime pas ça. La voix maternelle a beau rebondir sur les murs de la chambre, elle ne couvre pas complètement les cris du dehors.

Au même moment, je rentre tranquillement chez moi. Ou, du moins, j'essaye... Car mon tram vient de s'arrêter non loin de Stockel, sans raison apparente. Autour de moi, il se murmure que des flamingants auraient déposé des barrières sur les rails pour empêcher les Bruxellois d'entrer en terre flamande. J'ai du mal à y croire... Notre chauffeur appelle ses supérieurs hiérarchiques et le temps qui s'écoule lentement fait naître en moi une sourde angoisse qui gonfle, gonfle, gonfle, sans que je sache exactement pourquoi. Mesdames et messieurs, je vais vous demander de quitter le véhicule. Je frissonne. La Flandre vient de déclarer son indépendance. Je refrissonne. Ce tram ne peut plus continuer son chemin. Je pense à la bière française, aux frites françaises, au chocolat français... Et je frisonne une nouvelle fois.

L'homme pousse des petits cris aigus en hommage à l'orteil courageux qu'il vient de tremper dans l'eau. Son gsm a vibré dans sa poche. C'est sûrement elle... Il fouille son manteau de manière fébrile, trouve son téléphone, lui sourit quelques instants et se met à jurer. C'est tout ce qu'elle a à me dire, cette conne? De rage, l'homme envoie valser son gsm dans l'eau, le plus loin qu'il peut, avant de s'éloigner en courant. Il n'est déjà plus qu'une petite tâche sombre lorsqu'une vague altruïste vient ramèner sur la plage un téléphone inutilisable, sur l'écran duquel on peut encore lire un message. Enigmatique. België is gebarsten! Kijk naar de RTBF!

Marine vient de fermer les yeux et sa mère, soulagée, s'est écroulée devant la télé. Elle n'a pas compris tout de suite ce qu'elle a vu sur son écran. François De Brigode, sinistre... Un tram bloqué par des indépendantistes flamands? Anvers en liesse? Elle s'est sentie frémir. Les yeux rivés sur la télévision, elle n'a pas vu que Marine s'était relevée et qu'elle s'approchait d'elle. Quand celle-ci est venue se blottir dans ses bras, c'est à peine si elle a réagi... Qu'est-ce qui se passe, maman? Elle n'a pas trouvé les mots pour répondre à sa fille, ni l'énergie pour bloquer les larmes qui s'accumulaient au bord de son oeil. Quand elle s'est emparée de son gsm, elle pleurait...

J'ai refusé de sortir du tram. Je pensais à mes cours de Néerlandais, à notre excursion à Louvain, à mes vacances en bord de mer et à mon grand père, militaire. Je pensais au kitsch et au surréalisme, au compromis à la belge, à l'autodérision, à la musique de mon adolescence. Je pensais aux films wallons, à mes amis flamands, à mon appartement bruxellois... Je ne suis pas la seule à avoir refusé de bouger, je crois. Quand les flics sont apparus, je les ai à peine regardés. Secouez-moi, menacez-moi d'arrestation, de procès, de prison, je m'en fous... Mademoiselle? J'ai relevé la tête vers le jeune homme qui m'interpellait. Vous allez bien? Mon mutisme hagard a dû sincèrement l'inquiéter. Il s'est approché de moi et a posé une main pleine d'empathie sur mon épaule. Vous savez... Cette histoire, c'était... juste une blague. Une fiction. J'ai jeté un coup d'oeil par la fenêtre. Dehors un caméraman hilare félicitait un journaliste visiblement content de lui. Mademoiselle? Vous m'avez entendu?

Si je l'ai entendu?

Godverdomme, oui!

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour Delphine...
Puis-je prendre la liberté d'applaudir ce texte, vécu-rêvé de docu-fiction, très joliment écrit ?
Amitiés.
Guillaume

Phiphine a dit…

Tu peux... :-D
Merci!
Je lui trouve pas mal de défauts, perso, mais j'ai aimé la manière dont il s'est écrit un peu malgré moi (à la base, je ne comptais pas du tout raconter l'événement comme ça et puis ça s'est imposé)